L'autruche du
Bey
Il était
une fois le Bey de Tunis qui reçut en cadeau d'un autre monarque
une mignonne petite autruche. Surpris par ce cadeau et ne sachant qu'en faire, il décida de l'envoyer à Nefta car
disait-on le
climat lui conviendrait mieux. Dès son arrivée, le représentant
de l'autorité locale en la personne de monsieur Ali Sassi la prit
en charge et prévint la population qu'il s'agissait ni plus ni moins
d'une mission de haute importance et que ladite autruche beylicale avait droit
de vie et de mort sur tout ce qui bougeait. Et voilà que notre
autruche déambulait dans les rues de la ville faisant fuir les enfants
et régnant en maître des lieux.
Sa promenade favorite était la place du Souk. Dès qu'elle
arrivait, elle pillait tout ce qui l'intéressait sur son passage. Elle
commençait par le marchand de pains à qui elle piquait deux ou trois pains,
ensuite elle passait chez le marchand de céréales et se rassasiait de blé
dur. Les autres étalages n'étaient pas
épargnés non plus quelque soit leurs denrées.
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Mais sa prédilection
était le marchand de beignets. Ce pauvre bonhomme n'avait que deux heures pour
vendre ses beignets, entre
cinq heures et sept heures du matin. Au delà, il n'avait plus de
clientèle. Il la regardait venir de loin. Son cœur battait la chamade.
Quelquefois une
larme s'échappait de ses yeux rongés par le trachome. Et
la "princesse beylicale" avançait, avançait et à
mesure qu'elle avançait notre homme voyait le revenu de sa journée
qui baissait, baissait... L'autruche à peine arrivée à son niveau
choisissait la pile de beignets
la plus haute et l'avalait sans aucun état d'âme. Et notre marchand
regardait tout cela sans mot dire. Comme les autres commerçants,
il souffrait en silence. Qui pouvait contrarier l'autruche beylicale !
Au fond du Souk, dans une boutique sombre et mal rangée, était
installé le forgeron du village. Il voyait le manège se dérouler
devant lui et quoique n'étant pas concerné par la catastrophe
il n'en était pas moins préoccupé et même révolté. C' était un homme droit. Il avait
toujours aimé la justice et
ne supportait point la détresse de ses compatriotes.
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"Soixante-huitard" avant l'heure il décida de passer à l'action.
Un jour
il acheta un beau pain au boulanger d'à côté et confectionna
une belle bille, bien ronde qu'il mit à chauffer. Quand il vit l'autruche
se pointer à l'autre bout du Souk la bille était déjà
chauffée à blanc. Il prit le pain, le troua et plaça la bille
bien à l'intérieur. Puis il posa le pain sur une pierre du
mur d'en face, bien en évidence. Sentant l'odeur exquise
du pain chaud notre "princesse" ne se fit pas attendre et d'un coup de
bec, elle le prit et l'ingurgita. Elle fit un seul pas et ce fut le dernier
Apprenant la nouvelle,
la place et les ruelles de la cité se vidèrent comme un jour
d'apocalypse. Tout ce monde était mort de peur. N'importe qui en
ce temps là pouvait être accusé d'assassinat. Mais
monsieur Sassi craignait le scandale et sa place aussi. Il fit circuler
ce bulletin médical laconique: "En ce jour d'été de
l'an 1332 de l'hégire l'autruche du Bey a succombé suite
à une crise cardiaque provoquée par les fortes chaleurs".
Et
depuis la petite ville mena une vie tranquille jusqu'à nos jours.
T.L.
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